La petite fille de Monsieur Linh by Philippe Claudel

La petite fille de Monsieur Linh by Philippe Claudel

Auteur:Philippe Claudel
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock


Trois jours plus tard, Monsieur Bark invite Monsieur Linh au restaurant. C'est un endroit grandiose, avec quantité de tables et quantité de serveurs. Monsieur Bark fait asseoir son ami qui contemple ébloui tout autour de lui. Jamais le vieil homme n'a vu un lieu aussi magnifique. Monsieur Bark demande une chaise supplémentaire sur laquelle ils installent Sang diû. Il s'adresse ensuite à un homme habillé en noir et en blanc, avec un drôle de costume, qui note des choses sur un petit carnet, s'incline et puis s'en va.

« Vous verrez, on va se régaler, Monsieur Tao-laï ! »

Monsieur Bark noue autour de son cou la grande serviette blanche qui était posée à côté de son assiette.

Monsieur Linh en fait autant. Ensuite, il noue une autre serviette autour du petit cou de l'enfant, qui attend, sagement, sans rien dire, sur sa chaise.

« On venait parfois ici, avec ma femme, dit Monsieur Bark. Quand on voulait s'offrir une petite folie… »

Sa voix s'assourdit. Il y a un silence. Il parle de nouveau, mais avec lenteur. Parfois il s'interrompt un long moment, comme s'il allait chercher les mots très loin en lui et qu'il avait peine à les trouver.

Il marche sur un sentier difficile, se dit Monsieur Linh. Il écoute la voix du gros homme, cette voix qui lui est si familière même si elle dit des choses qu'il ne comprend jamais. La voix de son ami est profonde, enrouée. Elle paraît se frotter à des pierres et à des rochers énormes, comme les torrents qui dévalent la montagne, avant d'arriver dans la vallée, de se faire entendre, de rire, de gémir parfois, de parler fort. C'est une musique qui épouse tout de la vie, ses caresses comme ses âpretés.

Monsieur Bark s'est tu. Il penche sa tête en arrière. Il passe sa lourde main sur son front. Il regarde les nuages par la baie vitrée du restaurant.

« C'est grand le ciel… », murmure-t-il.

Il revient vers son ami et sur un ton grave lui dit :

« Je suis drôlement content d'être ici avec vous, Monsieur Tao-Laï. »

Le serveur revient avec les plats. Monsieur Bark a commandé ce qu'il y a de meilleur. Rien n'est trop beau. Il se souvient de l'après-midi sur le port, de tout ce qu'il a dit qui lui est sorti du cœur, et aussi du geste du vieil homme, alors qu'il se taisait, qu'il souffrait et qu'il avait honte. Cela n'a pas de prix.

Monsieur Bark et Monsieur Linh mangent et boivent. Monsieur Linh goûte des mets dont il ne soupçonnait même pas l'existence. Rien ne lui est connu mais tout est très bon. Il boit par petites gorgées le vin que le gros homme lui sert. La tête lui chauffe un peu. Les tables bougent. Il rit. Parfois, il tente de faire goûter un plat à son enfant, mais elle n'a guère faim. Elle est toujours sage, mais elle n'avale pas la nourriture. Monsieur Bark le regarde faire avec un sourire. Les autres convives parfois se retournent et les observent. Monsieur Bark s'en moque.



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